Écrit par Paula Grineri - Vendredi 19 mai 2017
L’exposition tant attendue MEDUSA a ouvert ses portes aujourd’hui au MAM (Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris). Vous avez jusqu’au 5 novembre pour découvrir une sélection de pièces joaillières et d’avant-garde. MEDUSA questionne et ouvre un regard inédit sur le bijou et ses tabous.
Pour nous guider dans notre visite, nous avons eu le grand plaisir de rencontrer l’historienne et grande spécialiste du bijou, Michèle Heuzé, conseillère scientifique auprès du commissaire de l’exposition Anne Dressen. Attention, vous ne regarderez plus vos bijoux de la même façon...
Pour le regard : on porte un bijou pour soi-même et pour être regardé. On peut être séduit ou s’interroger. Si vous ne voulez pas vous donner à voir, vous ne portez pas de bijou. En portant un bijou, vous manifestez une pulsion de vie, un besoin d’être aimé et d’appartenir à un groupe.
En effet, comme le visage de la Méduse dans la mythologie grecque, le bijou attire et trouble celui qui le conçoit, le regarde ou le porte. Et le nom Medusa est exprimé par ce regard permanent entre le monde extérieur qui nous construit et nous-même qu’il soit bienveillant ou pas.
Pour la première fois, une exposition dans un Musée d’Art Contemporain pose les questions suivantes : pourquoi le bijou n’est-il pas investi comme œuvre artistique ? Pourquoi n’est-il pas reconnu comme artistique lorsqu’il n’est pas réalisé par des artistes de renom ?
La réponse dans l’exposition se fait en quatre temps : à travers l’identité et ses subversions, le bijou comme support de l’expression de soi, par sa valeur, son rapport au corps et enfin au travers des différentes fonctions et rites associés au bijou. Nous réalisons alors que trop d’investissement, trop de culture nuisent au bijou et empêchent de le voir comme un langage purement artistique. C’est à la fois sa force et sa faiblesse...
Nous avons d’abord défini les tabous c’est-à-dire les grands axes qui investissent à ce point le bijou, à savoir l’identité, sa valeur, son rapport au corps et ses différentes fonctions et ainsi sélectionné plus de 400 pièces et bijoux du monde entier qui répondent de manière transversale à ces thématiques. Dans la majorité des vitrines le principe est de confronter un bijou féminin, sa contre proposition et une proposition d’ouverture.
Les bijoux sont vecteurs de tabous dans le monde de l’art. Dans notre quotidien, nous ne voyons pas les bijoux comme une limite car ils sont riches et denses de propos et de culture. Grâce à cette exposition, nous réalisons que cette culture est universelle, qu’elle traverse le temps et l’espace comme un langage commun.
Ce n’est pas la définition du Petit Robert qui réduit le bijou à son côté précieux. Le bijou réside dans la façon dont il investit le corps. Vous découvrirez dans l’exposition que certains bijoux sont capables de se définir par eux-mêmes.
Le bijou n’a pas été créé pour avilir la femme. La question est plutôt : comment peut-il être un outil pour la cacher, l’infantiliser ? Dans l’exposition nous nous sommes attachés à montrer le positionnement par rapport à la femme : d’un côté les bijoux élitistes portés par une Reine, de l’autre les bijoux comme outils de séduction qui donnent à la femme un côté dangereux, voire vénéneux.
Le bijou est né pour parer l’homme à l’origine. Il est intéressant de voir comment l’évolution sociale a transformé le rapport entre l’homme et le bijou. Vous noterez que les insoumis comme les « Bikers », les « Punks » ou les « Rappeurs » en s’opposant, reviennent aux racines en portant des bijoux.
Vous verrez une cravate exposée dans l’exposition, voici le bijou actuel de l’homme mais le bijou d’avant-garde est unisexe, transgenre…
L’intérêt d’associer de la haute joaillerie à un collier de bonbons ne réside pas dans la matière mais dans le propos. Beaucoup de femmes ont une attitude de petite fille, portent des miniatures qui peuvent avoir un côté un peu mièvre et font de leurs bijoux des objets transitionnels au point de se sentir nues sans leurs bijoux.
La proximité inattendue entre différents bijoux doit interroger le visiteur, ce discours entre le collier de bonbons et le clip danseuse de haute joaillerie fonctionne sans jugement parce qu’il est propos et chaque bijou de l’exposition est un mot, un déroulé de mot.
Mon bijou préféré, en tant que Mère, est celui que m’a offert ma fille : un collier de nouilles avec une fraise Tagada ! En tant que Femme, j’ai toujours aimé les colliers de chiens de Cartier en diamants, pour leur côté Princesse, très féminin et intemporel.
En tant qu’Historienne, c’est le collier « Noisettes » de Lalique. En effet, ce n’est pas le côté esthétique qui me touche mais plutôt la façon qu’a Lalique de restituer la nature avec ses aspérités qui me fascine. Ce bijou incarne son créateur. C’est un bijou à part, comme une porte historique vers les bijoux d’avant-garde.
Pour leur discours, j’apprécie le travail de Benjamin Lignel, Frédéric Braham et les bijoux qui jouent avec les mots. J’aime particulièrement le bracelet de Pradier que vous trouverez dans la deuxième vitrine qui révèle les pores de la peau et toute la sensualité féminine avec ces deux femmes devant une boîte de Pandore qui semblent se parler.
Enfin, le bijou qui me touche le plus est l’Anémone de Lalique dans sa façon d’aborder la mort et le dernier souffle. Lalique a cette aptitude à symboliser la vie du début à la fin et représente, avec les racines de l’anémone, la beauté des femmes et de la maturité avec beaucoup de poésie.
C’est celui qui vient personnellement me questionner le plus : il me donne une définition complètement renouvelée. Le bijou conceptuel m’a énormément nourrie pour comprendre le passé car il pose les vraies questions. Il est totalement œuvre artistique.
En soi c’est avant tout une œuvre d’artisanat et tant que nous parlons de « savoir-faire », nous ne sommes pas dans un propos. Le bijou d’avant-garde est intéressant dans la dérision qu’il offre de notre époque, dans son propos, son message.
Par exemple, l’artiste Frédéric Braham interroge le visiteur en proposant une boisson buvable à base d’or et d’argent, le bijou n’est-il pas à l’intérieur ? L’artiste questionne : plutôt que de paraître ne devons-nous pas nous interroger sur nous-même ? Il y a également cette chemise du même artiste sur laquelle à la place d’une broche, vous découvrirez la définition de la broche du Petit Robert…
Nous avons organisé une série de performances qui vont animer l’exposition parmi lesquelles j’aimerais citer :
• Le colloque de Frederic Braham sur le danger du paraître : jeudi 12 octobre 2017 à 19h
• Le bijou érotique ou l’art du bondage par Betony Verdon : jeudi 28 septembre 2017 à 20h
• L’atelier d’écriture du bijou avec Laurence Verdier : samedi 17 juin 2017 de 10h à 13h et jeudi 6 juillet de 19h à 22h
L’exposition s’inscrit dans cette série d’événements parisiens dédiés au bijou contemporain par la mise en avant d’un certain nombre d’artistes créateurs de bijoux d’avant-garde.
Il ne faut pas catégoriser des bijoux différents dans un système de valeurs. Si nous nous parons, c’est que nous avons besoin de nous construire culturellement par des accessoires comme des outils pour nous montrer aux autres, pour exister.
Cette exposition est une véritable invitation au questionnement ! Quels bijoux portons-nous et pourquoi ? Ont-ils un sens ? Cherchons-nous une appartenance à un groupe, un milieu ? Quel statut social nous apporte le bijou ? Et comme l’artiste Frédéric Braham essaye de nous interroger par son travail, le plus beau bijou n’est-il pas nous-même ?
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Très bonne exposition et n’hésitez pas à partager votre expérience et vos ressentis après cette visite enrichissante et intéressante.
Du 18 mai au 5 novembre 2017
11, avenue du Président Wilson 75116 Paris
Ouvert du mardi au dimanche de 10h00 à 18h00
service culturel : +33 1 53 67 40 80 / 41 10