L’avenir des salons est phygital : entretien avec Muriel Piaser

Portraits Salons

Écrit par Isis Eutrope - Vendredi 5 février 2021

Depuis le début de la crise du Covid-19, le secteur de l’événementiel s’est retrouvé entièrement immobilisé : annulations et reports se sont ajoutés à l’incertitude sur la possibilité d’un retour à l’activité normale. Pour les commerces, le digital a permis de compenser la baisse du retail physique : les ventes en lignes sont à la hausse depuis le premier confinement. Transformer un événement physique en événement digital n’est cependant pas aussi évident… les acteurs de l’événementiel sont poussés à agir rapidement et redoubler de créativité pour proposer des solutions adaptées.

C’est le cas de la pétillante Muriel Piaser, consultante et fondatrice du salon avant-gardiste « PRECIOUS ROOM by Muriel Piaser ». Depuis janvier 2019, Muriel présente lors de cet événement BtoB les collections de marques françaises et étrangères de haute fantaisie et joaillerie d’avant-garde aux acheteurs français et internationaux. Après trois éditions physiques organisées au prestigieux Palais Vivienne pendant la Haute Couture, une édition digitale est lancée en septembre 2020 en réponse au contexte actuel.

Nous avons échangé avec cette experte afin d’en apprendre davantage sur ce projet. Elle nous livre aujourd’hui sa vision de l’impact du Covid-19 sur le secteur de la bijouterie-joaillerie et l’avenir des salons professionnels.

©Atelier Paulin

Une plateforme digitale innovante

Bonjour Muriel, vous êtes la fondatrice du salon « PRECIOUS ROOM by Muriel Piaser » et vous avez récemment lancé une plateforme digitale. Pouvez-vous nous présenter le concept et son déroulement ?

À l’arrivée de la crise du Covid-19, j’ai dû annuler mon événement physique qui était prévu pour juillet 2020. Après une analyse rigoureuse du marché, j’ai compris que la situation n’allait pas s’arranger et que j’allais devoir réagir rapidement pour proposer une solution commerciale. Dès le mois de mai 2020, cherchant un moyen de transformer cette édition physique en édition digitale, je me suis tournée vers un showroom virtuel de référence dans le domaine BtoB que je connaissais depuis plusieurs années. Avec eux j’ai pu créer un mini salon en ligne dans lequel chaque marque inscrite a son propre showroom en ligne et sa propre marketplace à destination des acheteurs. Mon but n’était pas seulement d’instaurer une mise en relation mais également de donner accès à des prises de commande. L’édition digitale a lieu tout au long de l’année et la plateforme est accessible à la fois depuis le site « PRECIOUS ROOM by Muriel Piaser » et sa page dédiée sur le site Le New Black.

En parallèle, je propose à mes marques un accompagnement complet grâce à mon expérience de consultante pour renforcer leur image, en les promouvant notamment par le biais de mes réseaux sociaux. Il y a donc une action très forte aussi bien au niveau du business que du marketing.

©Opaliza ©Tropical Thursday

Comment sélectionnez-vous les marques que vous présentez sur votre plateforme ?

Mon cœur de marché est le bijou précieux et la haute fantaisie. Ma sélection est avant tout basée sur mon goût personnel, mon style et mon historique de directrice de salons. C’est une sélection qui me ressemble, avec une touche un peu glamour et rock and roll, souvent liée à l’émotion et toujours tendance, dans l’air du temps. Mon but est de défendre la démocratisation de la joaillerie dans l’industrie de la mode, afin que l’on puisse la retrouver par exemple dans des « concept stores » branchés ou des « department stores ». Le bijou fait aujourd’hui partie intégrante de cette industrie, il est incontournable pour les acheteurs puisqu’il amène une valeur ajoutée sur la personnalisation.

Ma sélection est un mélange entre des marques établies et des jeunes talents. J’adore révéler de nouveaux talents : j’ai toujours été dans une démarche d’anticipation, de quête de nouveauté, de recherche pour dénicher les marques qui font la mode de demain. J’avais créé en 2006 The Box, un salon dédié aux bijoux et accessoires de mode, qui a révélé plusieurs marques de joaillerie et haute fantaisie telles que Jacquie Aiche, Pascale Monvoisin, Céline Daoust, 5 octobre ou Ginette NY, qui sont aujourd’hui de grands noms. Avant de créer « PRECIOUS ROOM by Muriel Piaser », j’avais constaté que la nouvelle scène avant-garde des créateurs joailliers s’était isolée des autres marques et avait du mal à trouver son public. Mon salon était devenu pour eux un endroit stratégique pour se promouvoir et se révéler.

Les marques que je sélectionne revendiquent les valeurs de la « slow jewelry », comme la production et le sourcing des matières éthiques ou la traçabilité, ce qui est aujourd’hui très plébiscité. La valorisation de ces nouveaux artisans locaux me tient beaucoup à cœur.

©Mademoiselle Flora ©Mineral Joaillerie

Quels sont les avantages et les inconvénients de cette plateforme digitale ? Quelles stratégies avez-vous mis en place pour limiter les inconvénients ?

Cette plateforme me permet de conserver le lien entre marques et acheteurs sans qu’aucun n’ait à se déplacer. C’est également un moyen pour les marques d’être vues et abritées par une entité qui est incarnée : avoir une identité reconnaissable et cohérente, un storytelling, est extrêmement important.

Les inconvénients sont bien sûr le manque de relations humaines et l’impossibilité de toucher le produit. Cependant, la valorisation par l’image et les innovations digitales d’aujourd’hui permettent de pallier cela. Par exemple la 3D et la mise en scène technique du bijou porté peuvent nous aider à percevoir la qualité du produit.

©Helene Zubeldia Bagues Ministone ©Sophie d’Agon

Un avenir tendant vers le « phygital »

Selon vous, quel est l’avenir des salons professionnels ? Pensez-vous qu’il y aura une complémentarité entre le digital et le physique ?

La nouveauté du digital est liée à une personnalité : il faut être dynamique et proactif. Ce n’est pas simple et cela varie de culture en culture. Par exemple l’Asie, les États-Unis ou encore le Moyen-Orient se connectent très rapidement, tandis que la France, ou l’Europe de manière générale, reste encore sur le schéma du retail traditionnel et du showroom physique.

La crise du Covid-19 a engendré une obligation de se réinventer : il y a eu pendant longtemps une hésitation à aller vers le digital, mais maintenant il n’y a plus le choix. Même si l’on souhaite tous revenir au physique, et on y reviendra, le digital va rester. Les deux se complémentent, c’est ce que l’on appelle le « phygital ».

En tant que consultante, quelle est votre vision de l’évolution du secteur de la bijouterie-joaillerie et de l’impact du Covid-19 sur celui-ci ?

La crise nous a obligés à revoir la façon de construire les collections, de produire et de consommer. Aujourd’hui nous sommes sortis du schéma de consommation basé sur des périodes d’achat. La mode suivait habituellement les Fashion Weeks et le bijou étant intégré à ces temps d’achats, il suivait lui aussi les circuits traditionnels. Maintenant les marques ne se basent plus sur ce rythme saisonnier accéléré de deux collections par an, Printemps-Été et Automne-Hiver. Elles auront plutôt tendance à travailler sur des collections capsules ou des petites séries limitées qui seront introduites tout au long de l’année. Les achats se feront toute l’année, avec des périodes plus spécifiques comme les fêtes, la Saint-Valentin, les mariages, etc.

La façon de produire une collection est repensée. On parlait auparavant de « see now, buy now », maintenant on parle de « see now, produce now » : la fabrication est engendrée par rapport à une commande. La « slow jewelry » est associée à une éthique qui est aujourd’hui très valorisée.

La façon de consommer et les stratégies de ventes sont également différentes : les achats en ligne ont quasiment doublé en un an. Évidemment, le retail physique a été fortement affecté par la crise, tandis que les joailliers ayant un e-commerce ont pu être beaucoup plus proches de leurs consommateurs finaux, plus réactifs et donc vendre mieux.

Il faut combiner le physique et le digital. Le retail existe et existera toujours : le consommateur final a besoin de se rendre physiquement dans une boutique, pour l’expérience client, pour pouvoir toucher et essayer les produits… Mais le retail va repenser la manière de faire ses achats, de passer commande. Le digital est un moyen de prévoir et anticiper les achats.

©Gaya

Quels sont vos projets pour les prochaines éditions de « PRECIOUS ROOM by Muriel Piaser » ?

Mon souhait est bien évidemment de revenir à cet événement physique que je prévois pour janvier 2022, si tout se passe bien. Je valorise beaucoup l’expérience humaine et l’émotion. Mais je continuerai bien sûr le digital afin d’offrir quelque chose de complet à mes marques, à l’année. Au final, cette conjoncture m’a permis d’accélérer le processus et établir un business model qui est tout à fait cohérent par rapport à la crise et aux attentes des marques.

Je souhaiterais également me diriger prochainement vers le BtoC, notamment grâce au pop-up que certains grands magasins et concept stores m’ont proposé ou au partenariat que j’ai établi avec la Milano Jewelry Week. Je voudrais que « PRECIOUS ROOM by Muriel Piaser » devienne une marque, qui puisse voyager et véhiculer son identité, ainsi qu’un incubateur, un révélateur des talents de demain.

Portrait de Muriel Piaser ©Anne Loubet

PRECIOUS ROOM by Muriel Piaser
www.precious-room.com