Tendances Joaillerie : les nouveaux codes du luxe

Salons Tendances

Écrit par Bérengère Treussard - Mercredi 24 septembre 2025

Quand la joaillerie se réinvente

La joaillerie, longtemps perçue comme un simple ornement, vit en 2025 une transformation profonde. Au-delà de l’éclat des pierres et de la brillance de l’or, les bijoux deviennent langage, mémoire et technologie.

Lors de l’édition de Vicenzaoro 2025, rendez-vous international majeur de la haute joaillerie et de l’orfèvrerie italienne, créateurs, experts et maisons historiques ont dessiné les contours d’une nouvelle ère : celle où la joaillerie s’affirme comme un vecteur d’identité, de durabilité et d’innovation culturelle.

De l’Inde à la Chine, de l’Italie aux ateliers expérimentaux les plus avant-gardistes, les tendances convergent vers une question centrale : que dit un bijou de celui ou celle qui le porte ?

Le « Quantum Age » : du bijou-ornement au bijou-identité

L’un des temps forts du salon fut la conférence « The Quantum Age. Jewellery and the Convergence of Cultural Transformations », organisée par Trendvision Jewellery + Forecasting sous la direction de Paola de Luca pour le lancement du Trendbook+2027, livre sacré des tendances de la joaillerie édité chaque année. En effet, La grande force et la richesse du salon Vicenzaoro contrairement aux autres salons c’est d’avoir Paola de Luca qui décrypte les tendances et les enjeux du secteur en avance sur tout le monde.

Trendbook 2027+ en vente sur Trendvisionforecasting.com ©Trendvisionforecasting

Ici, le bijou n’est plus seulement une pièce précieuse. Il devient une interface culturelle et émotionnelle, un prolongement du corps et de l’esprit. L’artiste libanaise Samar Younes, fondatrice de Samaritual, décrit la joaillerie comme une « prothèse identitaire » : un objet capable de traduire notre appartenance, nos racines et notre singularité. L’intelligence artificielle, loin de déshumaniser le processus créatif, se présente comme un outil de convergence, capable d’agréger des récits et de transformer les bijoux en vecteurs de mémoire collective.

Dans cette approche, le bijou devient technologie sensible : un support où se rencontrent artisanat, science, culture et storytelling.

Inde et joaillerie, quand tradition et modernité s’entrelacent

En Inde, la joaillerie reste indissociable de l’identité culturelle et spirituelle. Comme le souligne Archana Thani, éditrice joaillerie de Vogue India, les jeunes femmes indiennes redéfinissent aujourd’hui la manière de porter les bijoux.

Si l’ancrage spirituel reste intact, les créations contemporaines associent désormais fonctionnalité, design et expression de soi. Colliers modulables, bijoux polyvalents et lignes épurées viennent enrichir un patrimoine millénaire, donnant naissance à une joaillerie hybride : à la fois respectueuse des codes ancestraux et ouverte à la créativité cosmopolite.

Pour les marques internationales, l’Inde représente ainsi un marché où l’authenticité et l’héritage sont des clés incontournables.

Chine et joaillerie : l’essor de la « She Economy » et le poids du digital

La Chine confirme en 2025 son rôle stratégique dans la joaillerie mondiale. Lors de la conférence « Strategies and success models for the jewellery world in China », plusieurs tendances structurantes ont été mises en lumière.

Une clientèle jeune et connectée

• La Génération Z, globalisée mais profondément attachée à son identité nationale, recherche des pièces qui conjuguent modernité et patriotisme.
• Les professionnelles urbaines, exigeantes sur la qualité et l’artisanat, privilégient des bijoux durables et porteurs de sens.
• Les ultra-riches, souvent plus jeunes que leurs homologues occidentaux, s’ouvrent à des designs audacieux et à l’expérimentation.

L’importance du digital

Les plateformes comme WeChat, Xiaohongshu ou Tmall Luxury Pavilion deviennent des vitrines incontournables. Les marques doivent y proposer une expérience immersive, mêlant storytelling, interactivité et exclusivité.

L’influence de la She Economy

Le rôle croissant des femmes indépendantes et éduquées bouleverse les codes de la consommation de luxe. Elles recherchent des bijoux qui reflètent leur « empowerment », alliant élégance, patrimoine et affirmation personnelle.

Les matériaux en vogue

Si l’or conserve une aura culturelle, les perles connaissent un engouement spectaculaire, avec une croissance de 60% en un an. Ce retour traduit le besoin d’un luxe raffiné, intemporel et adaptable aux styles contemporains.

L’Italie : entre artisanat, innovation et exportation

L’Italie, cœur battant de la joaillerie européenne, continue de jouer un rôle de premier plan malgré les défis du marché mondial.

Les chiffres clés de 2025

• 5,2 milliards d’euros d’exportations sur les cinq premiers mois de l’année.
• Une baisse de 16,8 % en valeur et 19,4 % en volume, mais…
• Une augmentation des projets d’investissement, passant de 21 % à 30 %.
• Plus de 50 % des exportations joaillières européennes vers l’UE27 sont italiennes.

Ces données révèlent un secteur résilient, capable de transformer la crise en opportunité grâce à l’innovation technique et à la force de son patrimoine culturel.

L’enjeu de l’or à 3000 dollars l’once : créer avec moins

Avec un prix de l’or dépassant les 3000 dollars l’once, les créateurs doivent repenser leur approche. Lors du panel organisé par l’IPMI et la CIBJO, plusieurs experts ont insisté sur le rôle du design dans la réduction de la consommation de matières premières.

• Alessia Crivelli (Crivelli) et Giorgio Villa (Association des orfèvres lombards) ont rappelé que l’innovation réside dans la maîtrise des volumes et des techniques de travail.
• John Mulligan (World Gold Council) a insisté sur la nécessité de définir collectivement le terme « or recyclé ».
• Alice Vanni (Italpreziosi) a souligné le rôle stratégique de l’approvisionnement responsable.
• Enfin, Federico Padrono Martini (IKOI Spa) a présenté son projet de « green gold » et un procédé de raffinage sous vide innovant.

La tendance est claire : la joaillerie de demain doit être à la fois écoresponsable et créative, capable d’inventer de nouvelles manières d’utiliser des ressources précieuses devenues rares.

Héritage et créativité : l’exemple de la maison Scavia

La maison Scavia, symbole de la haute joaillerie milanaise, incarne ce lien entre mémoire, famille et innovation artistique. Lors de la rencontre organisée par Assogemme, Fulvio Maria Scavia et son fils Alessandro Maria ont partagé leur vision : un bijou n’est pas seulement un objet, mais un récit incarné.

Du légendaire Sandra Dia Spiral Earrings, créé pour Liz Taylor et exposé au MoMA, aux nouvelles collections, chaque pièce Scavia illustre l’importance du dialogue entre designer et artisan. Comme le rappelle Fulvio Maria : « confier son rêve à l’artisan, c’est lui donner une âme ».

« Sandra Dia Earrings » Scavia, ©Scavia

Les quatre piliers de la renaissance joaillière

À travers les différentes interventions de Vicenzaoro en septembre 2025, se dessinent quatre grands piliers :
1. La culture : le bijou comme langage universel, porteur d’histoires et de mémoire.
2. L’artisanat : transmission des savoir-faire, valorisation de la main et du geste.
3. Les nouveaux codes : inclusion du digital, modularité, identité et expérimentation.
4. La renaissance : durabilité, matériaux responsables, et créativité au service d’une consommation consciente.

Tiffany Titan par Pharell Williams X Tiffany & Co ©Tiffany & Co , Guzema Fine Jewelry ©Guzema Fine Jewery

Conclusion, un futur à facettes multiples

La joaillerie en 2025 n’est plus un luxe figé. Elle est un miroir de notre époque, où se croisent l’intelligence artificielle, la quête de durabilité, l’affirmation identitaire et le respect d’héritages pluriséculaires.

Amberosouk ©ambersoukjewellery, Breston Kenya ©Pexels

Des ateliers de Valenza aux showrooms digitaux de Shanghai, des traditions indiennes aux visions futuristes de designers expérimentaux, un constat s’impose : les bijoux ne sont plus seulement faits pour briller, ils sont faits pour raconter.

Et dans ce monde en mutation, une certitude demeure : comme le disait Fulvio Scavia, « Il n’existe pas de bijou sans joie ».