Écrit par Frédéric Brun - Vendredi 23 août 2024
Avec des grandes complications axées sur la maîtrise des éléments, les horlogers profitent du salon Watches & Wonders de Genève pour rappeler leur capacité à anticiper l’avenir.
Finesse, précision et sens pratique, les maîtres horlogers rivalisent d’ingéniosité pour nous proposer des montres toujours plus performantes établissant de nouveaux records.
L’horlogerie est une promesse. Une vue de l’esprit. Un désir de se projeter dans l’univers impalpable du temps. Libérée de sa stricte fonction première – indiquer l’heure – la montre s’est métamorphosée en un objet fantasmagorique, sans perdre sa dimension scientifique.
Dans un monde par nature incertain, bousculé par les crises géopolitiques et les anxiétés liées au changement climatique, l’horlogerie contemporaine vient cette année rappeler sa force apaisante, sa permanence. Sa croyance en certaines certitudes au sujet de la marche du monde.
Cette année, les grandes maisons horlogères mettent notamment l’accent sur deux complications directement liées aux éléments : le tourbillon et le calendrier perpétuel. Des prouesses horlogères qui permettent aux horlogers de corriger les dérèglements. (
Inventé par Abraham-Louis Breguet en 1795 pour corriger les effets perturbateurs de l’attraction terrestre sur les mouvements – ce que les amoureux du sujet nomment l’isochronisme – le tourbillon est un dispositif qui est non seulement très sophistiqué mais également fascinant au plan visuel, avec son mouvement et ses rotations.
Captivant, il donne une sensation de vie à la montre. Longtemps ce cœur battant, fragile et délicat, a été protégé et dissimulé au cœur des montres. Depuis une vingtaine d’années, il ne se cache plus. Cette année, les amateurs ont eu le vertige avec des tourbillons de plus en plus sophistiqués et totalement mis en lumière.
Le plus fascinant est sans nul doute celui développé par Jaeger-LeCoultre pour son extraordinaire Duomètre Heliotourbillon Perpetual.
Avec trois cages, le tourbillon du nouveau calibre 388 à remontage manuel tourne sur trois axes différents ce qui le rend encore plus aérien et précis. Un tourbillon fait de 167 composants en titane et qui ne pèse pas plus de 0,7 grammes.
Il se marie au dispositif Duomètre, une innovation brevetée par « La Grande Manufacture » en 2007 et qui permet de coupler des complications horlogères, gourmandes en force motrice, avec très peu de déperdition d’énergie grâce à deux barillets et deux rouages indépendants, liés par un unique organe réglant. L’un des rouages actionne les indications du temps, et l’autre, toutes les fonctions additionnelles, garantissant ainsi une grande précision de fonctionnement.
Dans le cas de l’Heliotourbillon Perpetual, la montre offre un quantième perpétuel avec grande date et l’affichage des phases de lune.
Pour sa part, Roger Dubuis a décidé de donner au tourbillon une place centrale dans sa collection Excalibur.
Au propre, avec la spectaculaire Excalibur Titanium Monotourbillon qui place cet organe au milieu de la montre, faisant graviter mystérieusement les indications horaires autour de sa cage sans avoir recours à des aiguilles, ou au figuré avec les trois autres exécutions remarquables que sont l’Orbis In Machina, l’Excalibur Sunrise Double Tourbillon et l’Excalibur Dragon Monotourbillon.
A Piaget revient la palme de la montre à tourbillon d’une finesse extrême, puisque la nouvelle Altiplano Ultimate Concept (AUC) ne mesure que 2 mm d’épaisseur.
Benjamin Comar, président de Piaget, précise que pour atteindre ce record, il n’a pas été seulement question de greffer un tourbillon dans l’AUC existante, mais qu’il a bel et bien fallu recomposer intégralement le mouvement.
La montre de 41,5 mm de diamètre au boîtier en alliage de cobalt bleui, pour lui assurer un rapport épaisseur/rigidité optimum, présentée lors du récent salon Watches & Wonders de Genève ne partage en fait pas plus de 10% de ses composants avec ses sœurs aînées. Il a donc aussi fallu créer les outils nécessaires à sa réalisation.
Au-delà de la gloire de décrocher un record, la démarche est une démonstration de force pour Piaget et un message adressé non seulement au milieu de l’industrie horlogère mais aussi aux amateurs et aux collectionneurs.
A sa mesure, la marque française Pequignet délivre aussi un message avec sa montre Calibre Royal Tourbillon, la première de ce genre pour la manufacture.
« Avec ce tourbillon, nous sommes dans le classicissisme horloger, mais il a été travaillé pour être hyper aérien. La cage du tourbillon, en titane, est montée sur un micro-roulement à bille afin de garder de ce côté très léger, qui permet d’enchâsser l’axe de la cage. C’est un tourbillon ultra léger. »
Commente avec enthousiasme Hugues Souparis, président de Pequignet, en détaillant le cadran bleu texturé goutte d’eau logé dans un boîtier en or rose de 44 mm de diamètre pour 11,70 mm d’épaisseur.
A sa manière, Laurent Ferrier fait également preuve de sa créativité en introduisant dans ses collections son premier calendrier annuel avec phase de Lune avec sa nouvelle Classic Moon Blue & Silver, proposée dans un boîtier en acier ou en or rouge.
Vacheron Constantin quant à lui a présenté un tourbillon tout en titane tout en légèreté sur son modèle iconique Overseas avec un mouvement ultra plat de 5,65 millimètres d’épaisseur et une cade tourbillon inspirée de la croix de Malte pour une invitation à l’esprit du voyage.
Sophistication suprême, les calendriers portent une promesse vertigineuse : pouvoir faire le point le plus exact possible de sa trajectoire à un instant donné.
Un situationnisme philosophiquement rassurant pour des mortels en quête de compréhension de l’ordre du monde. Déjouer les pièges célestes et terrestres du calendrier suppose une capacité à se renouveler et à réfléchir en dehors des schémas traditionnels de la pensée horlogère classique.
C’est ce qu’ont fait les trois maîtres horlogers de l’Atelier des Cabinotiers de Vacheron Constantin durant huit années.
Le résultat est magistral : rien de moins que la montre la plus complexe jamais mise au point, intégrant pour la première fois un calendrier traditionnel chinois à conversion perpétuelle.
« Le calendrier chinois a été révisé pour la dernière fois en 1645. Sa particularité est de ne pas être exclusivement solaire ou lunaire, mais une combinaison des deux. La réconciliation des infirmations astronomiques liées à ces deux calendriers fait que les nombreuses irrégularités rendaient impossible la création d’un calendrier chinois perpétuel. Au final, certaines années durent 364 jours, d’autres 355, 383, ou 384, et tout ceci dans le désordre. C’est simple… »
Explique posément Christian Selmoni, directeur Style & Heritage de la manufacture genevoise, avant de détailler les 63 complications présentes, servies par un calibre mécanique fait de 2877 composants.
Derrière ce projet titanesque, il y a la passion d’un grand collectionneur, William Berkley. Légitimement, il donne son nom à ce garde-temps qui a déjà sa place dans l’histoire et met la barre très haut.
Le Calendrier Eternel présenté par IWC dans sa collection Portugaise est aussi une promesse d’éternité : son mécanisme exclusif est pensé pour être précis durant 400 ans et son dispositif spécifique d’affichage de double lune ne devrait dévier que d’un jour en 45 millions d’années.
En plus de ce garde-temps exceptionnel, IWC renforce globalement cette année les complications proposées dans la collection Portugaise avec un nouveau calendrier perpétuel et un tourbillon à remontage manuel doté d’une intéressante indication sphérique jour / nuit.
De son côté, la manufacture indépendante Patek Philippe renouvelle subtilement le genre avec sa référence 5236P à quantième perpétuel, plaçant une originale lecture sur une seule ligne du jour, de la date, et du mois au cœur d’un cadran opalin doré or rose, une teinte qui signale un boîtier en platine, tout comme le petit diamant discrètement serti dans la carrure du boîtier.
Particulièrement lisible, ce « tableau de bord » à la compréhension immédiate nécessite quatre disques alignés sur un même plan. Une construction complexe qui a prédestiné au développement du calibre 31-260 PS QL extra-plat à remontage automatique, détenteur de trois nouveaux brevets.
A vue d’œil, certaines améliorations d’une montre peuvent sembler de petits riens. Les amateurs avertis savent que toute évolution d’un calibre est en fait synonyme de nombreuses heures de patientes recherches et de développements.
Parfois, il est même nécessaire de repenser entièrement un calibre, de refaire un mouvement, juste pour apporter un peu plus de facilité d’utilisation à une fonction.
Exemple type, cette année, avec le nouveau système breveté permettant à la montre Heure Universelle référence 5530 de Patek Philippe d’indexer la date sur l’heure locale.
Les grands voyageurs en comprennent immédiatement l’utilité, en particulier dans un cas précis : en voyageant d’ouest en est à travers le Pacifique, du japon vers les Etats-Unis.
A minuit, le jour change mais la date recule d’un jour, comme les lecteurs du Jules Verne l’ont appris en lisant le Tour du Monde en quatre-vingt jours.
Un dilemme dramatique pour une montre mécanique dont les délicats rouages sont soumis à deux forces contraires, résolu par les horlogers de la manufacture Suisse, avec un ingénieux système de roues d’engrenage en étoiles concentriques.
Moderniste, la nouvelle Heure Universelle référence 5330G-001 se présente dans un boîtier en or gris et avec un cadran bleu-gris opalin dont le centre est d’un motif « carbone ».
Pour sa part, la manufacture allemande A. Lange & Söhne étonne cette année avec une pièce particulièrement virtuose : son spectaculaire chronographe retour en vol avec un compteur de précision à minutes sautantes, doté en outre d’un quantième perpétuel et d’un tourbillon avec mécanisme d’arrêt secondes.
Les connaisseurs noteront le recours à une finition « Lumen », à la fois translucide et luminescente, et noteront aussi le boîtier en or « Honeygold », à la teinte de miel spécifique à la marque.
Globalement, l’or rose fait cette année un retour très remarqué dans de nombreuses collections, de Cartier, avec ses montres Santos-Dumont édition limitée en laque bleu paon toujours aussi chic et raffinées, à Baume & Mercier ou encore l’élégante Carrera Chronograph Skipper de Tag Heuer en passant par Hermès qui dévoilait une nouvelle forme de boîtier avec la ligne Cut, mais encore Parmiginai Fleurier ou Grand Seiko, et bien sûr Rolex dont les nouveaux modèles Oyster Perpetual Day Date 40 au cadran ombré et Sky-Dweller en or Everose 18 carat n’ont pas manqué d’attirer toute l’attention sur cette tonalité très en vogue.
Bell & Ross mise même sur le retour de la combinaison or et acier, avec sa nouvelle BR 05 Chrono Grey Steel & Gold.
Même si Bulgari préfère jouer la carte d’une présence «hors les murs », en présentant ses nouveautés dans un hôtel sur les bords du lac Léman plutôt que de siéger avec ses maisons sœurs au sein du salon situé près de l’aéroport de Genève, il ne serait pas juste de ne pas remarquer la nouvelle montre ultra fine présentée par la division horlogère de la maison romaine de joaillerie.
Sa nouvelle itération de seulement 1,7 mm d’épaisseur de sa montre Octo Finissimo Ultra décroche un nouveau record du monde de finesse.
Ce qui est encore plus intéressant que son amincissement d’un cheveu, c’est que cette montre franchit un pas supplémentaire dans la définition de l’art de l’extra-plat puisque, pour la première fois, cette montre de 40 mm de diamètre qui utilise son fond de boîtier en carbure de tungstène comme platine intégrant directement les 170 composants de son mouvement mécanique à remontage manuel, est certifiée chronomètre par le COSC.
Cela signifie que les horlogers ont travaillé sur deux fronts à la fois : la finesse et la performance.
Tout en gagnant un dixième de millimètre en intervenant sur l'habillage, des rouages ou le verre saphir, ils ont aussi mené une démarche d’optimisation du balancier et la mise au point d’un large barillet autorisant 50 heures de réserve de marche.
Ce garde-temps hors normes est le fruit d’un travail de longue haleine et dans des catégories différentes.
« À neuf reprises, nos ingénieurs, horlogers et designers sont parvenus à défier les lois de la physique pour proposer des montres complexes dans des dimensions records »
Souligne Antoine Pin, directeur de la division horlogère de Bulgari qui avait établi son précédent record en 2022 avec l’Octo Finissimo Ultra de seulement 1,8 mm d’épaisseur tout compris.
Bulgari s’est lancé en 2014 dans la conquête de l’ultra-finesse en portant le débat sur tous les sujets. Longtemps, il n’a été question que d’amincir les montres de ville. Désormais, la quête se porte non seulement sur l’affinement des complications mais aussi sur les prouesses réalisées sur les motorisations.
Pour apprécier les records de finesse, il est important d’apprécier le travail sur les mouvements, tantôt à remontage manuel et tantôt automatique. Ce qui permet aux maisons d’établir parallèlement des records dans différences catégories. Une quête de l’ultra finesse débutée en 2014 avec l’Octo Tourbillon à remontage manuel, et qui passera par des prouesses diverses, allant notamment de la répétition minute la plus fine au monde (3,12 mm en 2016), l’Automatique en 2017 (2,23 mm) au calendrier perpétuel le plus fin jamais vu (2,75 mm en 2021).
Une stratégie de conquête venue épauler la montée en puissance de l’ensemble de la gamme Octo, dessinée par Fabrizio Buonamassa Stigliani depuis un peu plus de dix ans.
D’abord considérée comme une pièce horlogère atypique avec son boîtier architecturé aux 110 facettes, inspiré par la forme de la Basilique de Maxence à Rome réinterprétée par Gérald Genta, l’Octo s’est imposée comme un jalon de l’entrée dans le XXIe siècle, tant en matière de style que de technique.
« Octo a été lancée en 2012. À ce moment, nous étions convaincus que le modèle avait la capacité de réoxygéner une offre horlogère statique et figée » explique Antoine Pin.
« Cette intuition nous a donné raison puisque Octo est aujourd’hui considérée comme la montre contemporaine qui marque le début du XXIe siècle. Le sens de Finissimo est de réinterpréter les valeurs horlogères historiques et traditionnelles - tourbillon, répétition minutes, etc. - dans une approche très contemporaine, revisitée par nos horlogers. Plutôt que de se contenter d’emboîter ce type de mécanisme dans une boîte relativement épaisse, nous avons pris le pari de l’ultra-mince. L’audace est là: il n’était pas évident de ramener la grande complication dans des proportions réduites à l’extrême. Mais, au final, nous avons trouvé les solutions nous permettant d’atteindre ce but ».
Un dispositif technique qui permet aux horlogers d’aller toujours un peu plus loin dans la prouesse.
N’est-ce pas justement la promesse que les amoureux de la belle horlogerie attendent qu’ils tiennent ?